Ma maison influence-t-elle ma personnalité ?
Après une journée de travail, on retrouve son chez-soi, ses quatre murs, sa chambre et les siens. Mais comment la disposition de ce lieu intime détermine-t-elle ce que nous sommes ?
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Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village / Fumer la cheminée ; et en quelle saison / Reverrai-je le clos de ma pauvre maison / Qui m'est une province, et beaucoup davantage ? » Chacun connaît ces vers du célèbre poème Heureux qui comme Ulysse, de Joachim Du Bellay : ils nous disent combien nous attachons à nos maisons une grande valeur affective et psychologique. Tels nos vêtements ou nos voitures, nos murs sont bien plus que des murs…
Nos logements et nos manières de les agencer n'obéissent pas qu'à des critères rationnels ou intemporels. Ils remplissent en fait de nombreuses fonctions : assurer une protection contre le monde extérieur et ses rigueurs (froid, pluie) ou ses dangers (animaux ou ennemis) ; offrir un espace destiné à faciliter les tâches quotidiennes (préparer les repas, travailler) ; abriter les réunions, réceptions et échanges sociaux, au sein de la famille ou du groupe élargi (tribu, alliés ou amis) ; et plus tardivement, une fois ces fonctions assurées, exhiber ses vertus ou son statut (richesse, abondance, ordre ou propreté).
L'Igloo, la chaumière et le palais
Nos espaces domestiques ont connu de nombreuses évolutions : autrefois les maisons abritaient plusieurs générations d'une famille entière, et ce, quelle que fût leur taille, des très grandes fermes basques aux petits igloos de l'Arctique. Puis avec l'émergence de l'individu moderne, à la fin du xviiie siècle, se firent jour de nouveaux besoins, notamment d'intimité. Là où six personnes partageaient autrefois la même couche, apparurent des lits séparés puis des chambres. Les pièces en enfilade firent place à des couloirs permettant un accès discret à chaque pièce. Chez les riches, le désir d'affirmer publiquement son statut se traduisait jadis par une course à la hauteur des tours et à la richesse des façades. Cette démarche se poursuit aujourd'hui dans les classes moyennes, avec une course souvent inutile aux mètres carrés : une étude montre que l'augmentation des surfaces moyennes des maisons aux États-Unis entre 1980 et 2007, était de 150 à 215 m2, soit près de 45 % de plus, alors que durant le même temps l'augmentation des salaires médians n'était que de 15 %.
Les chambres de la réussite
Il est donc acquis que nos demeures suivent l'évolution de nos besoins psychologiques, mais existe-t-il un effet en retour ? Est-ce que nos espaces de vie influencent nos comportements, pensées ou émotions ? Le phénomène est encore assez peu étudié de manière scientifique. Les données existantes concernent plutôt le monde professionnel, où se retrouve ce que nous avons évoqué : l'exhibition de signes de statut (disposer d'un grand bureau), et le besoin d'intimité (la plupart des salariés aiment disposer des objets personnels dans leurs espaces de travail). Mais ce sont surtout les espaces de travail ouverts, dits en open space, qui ont été étudiés. Justifiés à leur origine pour faciliter la communication entre les salariés, ils permettent aussi à l'entreprise, de façon implicite, de faire des économies et de promouvoir une surveillance des uns par les autres (dur de faire la sieste ou des mots croisés dans un open space…). En fait, avec le recul, il semble que les bénéfices attendus sur les échanges d'idées et le travail en équipe ne soient pas au rendez-vous. Une large revue des travaux sur ce thème, publiée en 2011 dans l'International Review of Industrial and Organizational Psychology, soulignait que les niveaux de stress et les difficultés de concentration étaient plus élevés dans ce type d'environnement de travail. Avantages hypothétiques et inconvénients garantis : l'open space n'est sans doute intéressant que pour certaines professions créatives, ou de petites équipes, et il n'est pas démontré à ce jour qu'il soit supérieur à des bureaux isolés ou partagés par des petits nombres de personnes, associés à des salles de réunion.
Chez les particuliers, il existe peu de données issues de la recherche, mais il est probable, par exemple, que le fait de disposer d'une chambre à soi facilite un certain individualisme, pour le meilleur et pour le pire : l'espace personnel permet le repli sur soi, aujourd'hui accentué par l'usage intensif des écrans à domicile, et l'on a montré que le temps d'écran est autant de temps perdu pour les échanges familiaux. En revanche, la chambre individuelle semble associée à de meilleures chances de réussite scolaire. Nous disposons aussi d'études sur les liens entre stress et densité des logements, qui montrent que la « surpopulation familiale » n'est associée à des troubles psychologiques que si la qualité du lien social entre les habitants est mauvaise. Rien que de très logique : il est capital de bien s'entendre si l'on vit entassés les uns sur les autres…
Habitez en pleine conscience
Alors, si vous jetiez un œil sur la manière dont votre intérieur est organisé ? Que dit cet agencement de vous ? Et surtout, comment peut-il vous influencer en retour, et à votre insu ? Si vous vous trouvez chez vous, posez ce magazine et regardez autour de vous. Déambulez. Observez tout ce que vous aimez, tout ce qui vous rend heureux dans votre « home, sweet home » : les volumes, les couleurs, la lumière, ce que vous voyez de vos fenêtres. Prenez conscience de ce bain quotidien qui vous façonne, de son influence invisible mais puissante. Ce faisant, peut-être en ressentirez-vous davantage la présence bénéfique. Et peut-être aussi déciderez-vous de changer ce qui ne va pas…
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